lundi 21 mai 2018

Mai 68 • Les acteurs de la contestation [2]


Guerre contre eux-mêmes ... 
Par Rémi Hugues 
Dans le cadre de la sortie de son ouvrage Mai 68 contre lui-même, Rémi Hugues a rédigé pour Lafautearousseau une série dʼarticles qui seront publiés tout au long du mois de mai.
Les auteurs de Génération. Les années de rêve, Hervé Hamon et Patrick Rotman, ont dressé une longue liste des protagonistes de Mai 68. Nous reprenons ce qu’ils disent du milieu familial et social de chaque acteur.
Jeannette Pienkny 
Jeannette Pienkny, qui était la seule femme membre du bureau national du Mouvement de la jeunesse communiste au moment du XIVème Congrès du P.C.F., qui eut lieu au Havre en juillet 1956. Vingt ans plus tôt son père arrive en France. « Juif polonais, né à Lodz, il fut dirigeant de la Jeunesse communiste. Repéré par la police, il fuit en Allemagne, milite au P.C., que Hitler entreprend de démanteler. Arrêté durant un meeting, il est condamné, incarcéré. À peine libéré, il gagne Paris. À la déclaration de guerre, comme beaucoup d’immigrés d’Europe de l’Est, il s’engage. Il est fait prisonnier, revient en 1945. Jeannette ne découvre qu’alors son père. Elle a sept ans. Les souffrances et les déchirements intérieurs s’agrippent au cœur comme l’étoile jaune s’accroche à la poitrine : descentes de la milice, camps de réfugiés, ballottements d’autant plus effrayants qu’incompréhensibles. […] Chez les Pienkny, on parle yiddish ; la mère est couturière à domicile, le père ne ʽʽfaitʼʼ plus de politique, mais il en parle du matin au soir. Cet étrange assemblage d’éducation communiste et de culture juive – non religieuse – est au début des années cinquante le terreau commun de la bande que fréquente Jeannette. […] Pour ces jeunes juifs, l’antifascisme est incarné par le parti communiste. »[1] 
Michèle Firk 
L’une des grandes amies de Jeannette Pienkny s’appelle Michèle Firk : « Juive comme cette dernière – sa famille avait fui les pogroms d’Europe orientale au début du siècle –, elle a connu les persécutions raciales de la guerre. […] À dix-neuf ans, en 1956, elle prend sa carte du parti communiste ; mais son besoin d’action, son dégoût viscéral devant les horreurs de la guerre d’Algérie la détournent d’un engagement trop timoré à ses yeux. Elle entre dans les réseaux de soutien au F.L.N. »[2]
Jean Schalit 
Jean Schalit a des origines russes « mais son arrière-grand-père était le secrétaire de Théodore Hertzl, le fondateur du sionisme – d’ailleurs il fut l’un des douze pionniers qui émigrèrent en Palestine à la fin du XIXème siècle. […] Une branche de la famille a réussi dans la presse et possède la Société parisienne d’édition qui publie Bibi Tricotin, les Pieds nickelés, l’almanach Vermot. Mais le père de Schalit, par esprit d’indépendance, préférait travailler dans un journal économique, L’information. Homme de gauche, il a collaboré au cabinet de Léon Blum en 1936. Après la guerre, la Résistance, il dirige une publication de la C.G.T. […] En 1952, la police soviétique ʽʽrévèleʼʼ que des médecins voulaient assassiner Staline. Le compagnon de route se rebiffe ; il ne croit pas un mot de ce complot des ʽʽblouses blanchesʼʼ où les praticiens accusés ont surtout le défaut d’être juifs. Il s’éloigne du communisme au moment où son fils Jean, quinze ans, s’en approche. […] Communiste de marbre, il n’hésite pas à vendre, seul,LʼHumanité aux portes de l’institut d’études politiques où il est admis à la rentrée universitaire de 1956. Les chars russes tirent sur les ouvriers de Budapest, mais il reste fidèle comme un roc. […] Bientôt propulsé au bureau national de lʼU.E.C., il est chargé du journal Clarté »[3], qui est l’organe de la branche étudiante du PCF. 
Serge July 
Serge July, qui n’est pas adhérent à lʼU.E.C., est cependant un lecteur assidu de Clarté. Il a pour meilleur ami René Frydman, qui est étudiant en médecine. « July et Frydman se connaissent depuis le lycée Turgot, où ils étudiaient ensemble, et sont demeurés très liés. […] Imitant la moitié de leur classe, ils suivent les initiatives du M.R.A.P., un mouvement contre le racisme particulièrement actif dans leur quartier où les élèves d’origine juive sont nombreux – les parents de Frydman, immigrés de Pologne, se sont établis dans la confection. Le père July, lui, est un ingénieur des Mines, radical-socialiste, libre penseur et sceptique, qui n’essaie pas d’inculquer à son fils une quelconque orthodoxie politique. Pas plus que sa mère, catholique bretonne qui travaille chez Lelong, un atelier de haute couture. C’est elle qui l’élève, ses parents étant séparés. »[4] 
Roland Castro 
Roland Castro, né en 1940 à Limoges, étudiant aux Beaux-Arts et militant au Parti socialiste unifié (P.S.U.), se rappelle avoir dit, à propos du départ de Pierre Mendès France de la fonction de président du Conseil, en 1955, « lui qui est juif d’une lignée de juifs espagnols et grecs : eh oui, ils triomphent. Ils ont flanqué dehors le petit juif qui les dérangeait tant. Mais les petits juifs, tôt ou tard, rentrent par la fenêtre...ʼʼ »[5] Son père est « issu de la diaspora juive espagnole installée en Grèce, est né à Salonique. Mais, encore jeune homme, il émigre en France où il pénètre avec de faux papiers. Devenu représentant de commerce, il épouse à Lyon une juive grecque également de Salonique. Amoureux de son pays d’accueil, il s’engage en 1939 »[6] du côté de la France contre l’Allemagne nazie. Ania Francos, qui est la « fille d’un père russe et d’une mère polonaise, cachée de famille en famille durant lʼOccupation, faisait partie de la bande d’adolescents juifs qui se retrouvaient, le samedi et le dimanche, place de la République. »[7]  (Dossier à suivre)  
[1]Ibid. p. 48-49.
[2]Ibid., p. 52.
[3]Ibid., p. 53.
[4]Ibid., p. 127.
[5]Ibid., p. 76.
[6]Ibid., p. 119.
[7]Ibid., p. 89.
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