lundi 6 décembre 2010

Le mythe du Maccarthysme 2ième partie

Enfin, les membres de la Commission sont parfaitement renseignés sur l’industrie du cinéma par nombre d’enquêteurs et d’agents du FBI. Leurs cibles sont soigneusement sélectionnées et les dossiers remarquablement documentés.

L’arrivée des prolétaires à paillettes

Outre ces événements, les communistes vont également obtenir le soutien, normalement décisif des libéraux. Immédiatement, les joyeux pétitionnaires, trop contents d’avoir l’impression de goûter des émotions fortes et de prendre parti pour la liberté d’expression, partent au combat « dans une joyeuse atmosphère de guerre en dentelles et de paris sur la victoire ».

John Huston, Philip Dunne et William Wyler créent le « Comité pour le Premier amendement ». L’idée est simple : selon leur interprétation, le Premier Amendement permettrait aux témoins de ne pas répondre à l’inévitable question de leur appartenance ou de leurs accointances avec le CPUSA. Ceci suivant le motif que le gouvernement n’aurait pas le droit d’enquêter sur les affiliations politiques des citoyens. Or, le Premier Amendement « ne souffle mot des appartenances et des opinions politiques, encore moins du droit des citoyens de refuser de répondre à une enquête du Congrès » !

Le nœud gordien

Quoi qu’il en soit, sûrs d’eux et du bien fondé de leur terrible engagement, les sémillants membres du Comité pour le premier Amendement décident d’affronter l’hydre fasciste et de combattre pour obtenir aux États-Unis une liberté d’expression aussi totale qu’en Union soviétique ! Rien ne pourra plus les détourner de ce noble idéal. Et, comble d’ironie, ils abattront leurs adversaires en utilisant ses propres armes. La médiatisation et la publicité accordées aux séances du HCUA leur permettront de discréditer les méthodes « fascistes et totalitaires » de cette horrible commission, prête à accomplir un autodafé avec de généreux artistes aux convictions progressistes.

Immédiatement, la stratégie est mise en application : les compagnons de route du PCUSA affrètent un avion de ligne pour se rendre aux audiences. Le 20 octobre, les prolétaires en strass et paillettes sortent de l’appareil et descendent lentement les marches jusqu’au plancher des vaches. Il y a là Humphrey Bogart, mystérieux, fumant avec morgue et détachement, sanglé dans son imper, prêt à jouer son auto-parodie. Et puis la merveilleuse et séduisante Lauren Bacall, le frétillant Frank Sinatra, Gene Kelly, Henry Fonda et d’autres encore, tous là pour le duel final entre le Bien et le Mal.

Candides et trop confiants, les « idiots utiles » descendent les avenues de Washington en toute sérénité, et posent complaisamment pour la postérité, sourires hollywoodiens et poses plastiques à volonté.

La gaffe de J. Parnell Thomas

Parallèlement à ces amusements de millionnaires en mal de sensations fortes, le Président J. Parnell Thomas a commis une erreur. Inquiet face à ce remous médiatique en faveur des artistes pro-soviétiques, il lance une rumeur « révélant » qu’il avait les producteurs à sa botte, et que par ailleurs, ceux-ci tenaient à sa disposition toutes les listes noires nécessaires pour éradiquer les rouges de l’industrie du cinéma !

À la veille des audiences, la Motion Picture fait paraître un cinglant démenti, qui confond les allégations de Parnell Thomas, ridiculisé tant face à l’opinion publique que face à ses adversaires : (…) « Il n’y aura jamais de liste noire. Nous n’allons pas sombrer dans le totalitarisme pour faire plaisir à la Commission. »

Les audiences commencent donc avec la certitude pour les communistes de n’être jamais inquiété par les moguls. Et elles se déroulent devant un parterre de stars en rang d’oignon, faisant bloc derrière les communistes, héros du jour et bien contents de pouvoir jouer les opprimés à si bon compte.

De toute évidence, J. Parnell Thomas a perdu la partie, et les auditions vont achever de le ridiculiser. La preuve va être faite qu’il s’est attaqué à d’honnêtes citoyens américains, devenus par la force des choses les héros involontaires de la résistance à l’oppression bourgeoise, totalitaire et fasciste. Tout à l’heure, ils défileront devant les responsables du HCUA, et bien fort, très tranquillement, avec une morgue digne de Humphrey Bogart, ils répondront sans vaciller aux deux questions tant redoutées il y a peu…

– « Etes-vous ou avez-vous été membre de la Guilde ? »

– « Oui ».

– « Êtes-vous ou avez-vous été membre du PCUSA ? »

– « Oui… Et alors ? Où est le crime ? Est-ce, oui ou non, illégal ? Ces organisations sont-elles oui ou non conformes à la constitution ? Sommes-nous, du fait de nos opinions, des citoyens de seconde catégorie, des artistes de seconde zone, des employés moins méritants que les autres, des pestiférés qu’il faut bannir de la société ? N’avons-nous pas combattu contre le nazisme, pour la patrie, la Liberté et la démocratie durant la guerre ? Que répondez-vous à cela ? »

En effet, que dire ? Et pourtant, face à ce boulevard offert par la gaffe de Parnell Thomas, les communistes vont sortir des auditions définitivement discrédités tant auprès de leurs collègues de l’industrie, que de l’opinion publique. Le 24 novembre 1947, la Chambre des représentants, par 346 voix contre 17, défère devant la justice des EÉats-Unis les désormais fameux « Dix de Hollywood » (après les dix-neuf) pour outrage au Congrès. Le même jour, les moguls se réunissaient à l’hôtel Waldorf-Astoria, et deux jours plus tard, sous l’égide de la Motion Picture qui défendait les communistes un mois auparavant, décidaient de les chasser de l’industrie du cinéma ! Comment expliquer ce retournement pour le moins paradoxal ?

« Protégez-moi de mes amis… »

Les audiences avaient bien commencé pour les « témoins inamicaux ». Leurs vingt-quatre homologues « amicaux » étaient entrés pleins de bonne volonté dans les dépositions, mais se retrouvaient incapables d’étayer leurs accusations par des preuves solides. Rapidement, leurs témoignages tournèrent aux rumeurs, aux soupçons à peine fondés. Leur seule déclaration réellement affirmée fut celle concernant l’impossibilité pour les communistes de subvertir les films placés sous leur responsabilité. Ce qui n’était pas à proprement parler fait pour nuire à ces derniers.

Imprécis, malhabiles, parfois à la limite du ridicule, comme Louis B Mayer, directeur de la MGM qui, accusant quelques scénaristes, atténua sa charge en plaidant pour leur défense, une « fêlure au cerveau ». A partir de ces témoignages peu convaincants, il est possible de déduire qu’une partie des moguls, « avec une unanimité touchante, plaida leur innocence au risque de passer pour des imbéciles, car on ne peut imaginer, à relire leurs déclarations, qu’ils furent naïfs à ce point-là. »

Rapidement, au vu des témoignages, il devint évident que l’accusation de propagande subversive ne pouvait plus être maintenue. La loi du silence propre à l’organisation quasi-clandestine du PC portait ses fruits : il était impossible aux témoins amicaux d’apporter la preuve de leurs assertions.

Forts de tous ces atouts, les « témoins inamicaux » pouvaient aborder leur propre audition avec confiance. Sur les dix-neuf témoins cités à comparaître, onze seulement étaient encore retenus. Tous, à coup sûr, des membres actifs du parti communiste. Preuve que J. Parnell Thomas basait son enquête sur d’autres sources que les témoignages bouffonesques des « témoins amicaux ».

Preuve également, dans ce cas, qu’il pensait encore confondre ses adversaires et qu’il possédait donc d’autres atouts dans son jeu.

Hormis Bertold Brecht qui fit bande à part, les « Dix de Hollywood » mettent au point leur propre stratégie, assistés par des avocats du parti. Assurés de leur importance artistique et financière à Hollywood, ainsi que de la protection de principe des « moguls », ils se sentent invulnérables.

Leur but : attaquer à outrance et discréditer la Commission. Répondre aux questions : oui, mais à leur manière… En passant délibérément à côté, tout en profitant de cette tribune médiatique offerte par le gouvernement pour démolir ce dernier !

À cette occasion, chaque témoin inamical avait élaboré un discours, dont la lecture fût interdite par le président. « C’était de sa part un acte charitable, car toutes ces déclarations, par leur langage conventuel, leur style bien identifiable et leurs pauvres insultes répétitives témoignaient, mieux qu’une confession, de l’appartenance indubitable de leurs auteurs au parti ».

Les communistes n’oubliaient apparemment qu’une seule chose : leurs interlocuteurs n’étaient pas des particuliers, qu’on pouvait malmener à merci, mais les représentants du Congrès, et donc du peuple et de la démocratie… « Ils donnèrent d’eux mêmes exactement l’image que les pourfendeurs de rouges cherchaient à répandre dans l’opinion : insolents, méprisants, orgueilleux de leur puissance et se prétendant au-dessus des lois ».

L’audition des témoins inamicaux commença par une motion d’annulation de la procédure déposée par un avocat communiste. Cette motion se fondait sur le fait que l’activité cinématographique était un moyen d’expression protégé par le premier Amendement. De ce fait, la Constitution interdisait à la Commission d’interroger les témoins sur leurs activités. La motion fut bien entendu rejetée, mais l’angle de défense des communistes était maintenant posé.

Le premier des témoins appelés à la barre, John H. Lawson s’appuya sur cette motion rejetée pour attaquer bille en tête : « Depuis une semaine, cette commission fait un procès illégal et indécent à des citoyens américains… » On notera, encore une fois, qu’il ne s’agit nullement d’un « procès », mais d’une audition, à laquelle durent se prêter, dans d’autres circonstances, des témoins non-marxistes, et même récemment, Bill Clinton en personne.

Echec et mat !

A la fin d’une audition chaotique, Lawson fut expulsé de la salle d’audience. C’est alors que J. Parnell Thomas abattit son fameux atout. Il fit comparaître Louis B. Russel, un des enquêteurs de la Commission. Celui-ci prêta serment avant d’affirmer qu’il avait été mis en possession [par le FBI] d’une carte de membre du parti communiste au nom de John H. Lawson. « Comme dans une mise en scène bien réglée, Robert E. Stirling lui succéda et lut un document de neuf pages qui fut versé au procès-verbal et qui consignait les multiples « activités communistes » dont Lawson s’était rendu coupable. Sur ce, (…) Thomas annonça (…) Que John H. Lawson tombait sous le coup d’une inculpation pour outrage au Congrès pour ne pas avoir répondu à la question « Etes-vous ou avez-vous été membre du parti communiste ? »

Ainsi, ce n’est en aucun cas pour des activités communistes que Lawson est condamné, mais pour avoir refusé de répondre aux questions posées par un représentant du peuple américain.

Cette attitude irrespectueuse, violente et antidémocratique, choque profondément le public et, entre autres, les artistes de gauche venus les soutenir. Ceux-ci s’attendaient bien à une énergique défense de la part des « accusés », « mais nullement qu’ils missent en cause la légitimité de la Commission, émanation du peuple, et cela en des termes qui apparurent à beaucoup d’Américains comme un langage de guerre civile. »

Cette délégation libérale, fut sans doute naïve et sa seule excuse réside dans le fait que, comme d’autres avant elle, elle « ne savait pas ». Cependant, déçus par l’attitude suicidaire de Lawson durant sa comparution, et surtout choqués par l’agressivité fanatique des communistes, les membres du comité de soutien pour le premier amendement quittent la salle et remontent, encore tout étonnés, dans leur avion. Ils soutenaient une petite révolte, pas la Révolution !

Par cette attitude incompréhensible, les communistes se sont d’une part, coupés de leurs alliés potentiels mais, surtout, ils ont révélé leur vrai visage à la face des États-Unis, en raison de la médiatisation des audiences.

Inculpés pour outrage au Congrès !

Devant cet échec stratégique, les communistes, pourtant conseillés par de bons avocats, acquis à leur cause puisque marxistes eux-mêmes, loin de modifier leur comportement, vont au contraire persister dans une logique auto-destructrice. Avec une agressivité et une incorrection sans précédents, ils ignorent les questions tout en prenant la parole le plus longtemps possible, pour placer leurs tirades tout droit sorties du catéchisme stalinien. Régulièrement, ils attaquent la Commisssion ; régulièrement, ils feignent d’ignorer l’attitude désastreuse de leur prédécesseur, pour reprendre à la lettre la même catastrophique argumentation. Et régulièrement, le témoin finit par être exclu de la salle sur ordre de M. Parnell Thomas. Il est alors remplacé à la barre par Louis J. Russel, qui apporte toutes les preuves de l’appartenance du témoin au CPUSA et à la Screen Writers Guild. Ce dernier est donc toujours inculpé, non pas, rappelons-le et soulignons-le doublement, pour ses activités ou opinions politiques, mais pour outrage au Congrès. En clair, pour avoir refusé de répondre à J. Parnell Thomas.

Suite à ces éprouvantes auditions, Parnell Thomas remit les autres séances à une date indéterminée, ayant désormais en mains tous les éléments nécessaires à son enquête. Ses adversaires ne manquèrent pas d’interpréter ceci comme une forme de victoire par abandon. Comme il l’a été montré plus haut, ils se trompaient lourdement : en avril 1948, Lawson et Donald Trumbo furent condamnés pour violation du paragraphe 192, article 2 du Code portant « refus de témoigner devant une commission dûment constituée du Congrès » (Encore une fois, il convient d’insister lourdement sur l’absence totale de référence à de quelconques activités communistes ). Ils purgèrent donc une peine d’un an d’emprisonnement et mille dollars d’amende. Biberman et Dmytryk en eurent pour six mois et cinq cents dollars.

Conséquence directe de cette attitude suicidaire lors du procès, tous leurs anciens alliés ou soutiens les lâchent désormais. Après les artistes libéraux, les moguls décident de chasser les communistes de l’industrie, et de ne les récupérer que lorsque ces derniers seront innocentés, repentis ou auront purgé leur peine. Leur carrière n’est donc pas finie, et il faut ici noter l’indulgence du gouvernement qui ne les empêche pas de travailler, contrairement à ce que pratiquent les régimes soviétiques à la même époque !

Pourquoi une telle défense ?

Comment expliquer la défense lamentable des communistes ? Hors de question ici de miser sur « leur conjecturale stupidité » ! Ces personnes n’étaient pas des idiots. Et leurs avocats veillaient à leur assurer une défense digne de ce nom.

Trois lignes de défense pouvaient être arrêtées lors des auditions.

« Oui, et alors ? ! »

La première est la plus simple : il s’agissait de répondre « oui » aux deux questions. C’était faire d’une pierre deux coups : d’abord le HCUA était totalement confondu, et ensuite, les communistes montraient non seulement leur courage, mais encore leur honnêteté ! Enfin, à coup sûr, les moguls comme les libéraux leur restaient acquis !

Le HCUA possédait les preuves de leur appartenance au parti, les témoins auraient dû s’en douter, ne serait-ce qu’au moment des auditions, où ne furent appelés à comparaître que les membres les plus actifs du PC. Le but était de les discréditer publiquement en jouant sur leur faux témoignage, ou sur leur refus de répondre à la Commission. Et si au début répondre « oui » était encore un moyen d’être discrédité, ce n’était plus vrai après les gaffes de Parnell Thomas et les accusations dénuées de fondement des « amicaux ».

Enfin, suite à la tentative de Lawson, il devenait évident que c’était désormais la seule solution possible pour désamorcer la mine qui menaçait d’exploser sous leurs pieds.

Silence radio

La deuxième solution, celle avancée par les alliés libéraux du Comité pour le premier Amendement, consistait d’une part à s’avouer publiquement communiste, et d’autre part à garder le silence lors des audiences, et à invoquer le premier Amendement qui interdisait, selon leur interprétation, de voter des lois portant atteinte à la liberté de parole et d’opinion. Même si cette solution était juridiquement contestable, au sens où ce n’est qu’une interprétation du droit, elle avait au moins le mérite de paralyser la procédure, et de dévier sur un long débat constitutionnel, pouvant durer des années. Mais cette défense était impossible pour les membres d’un parti tenu à une semi-clandestinité, et à l’interdiction formelle de révéler son appartenance au parti.

« Je suis coupable, mais je ne peux pas le dire… »

Enfin, une troisième solution s’offrait, sans doute la moins bonne des trois. Il s’agissait de se réfugier derrière le cinquième Amendement. Ce dernier permet à un citoyen de « ne pas répondre à une question pouvant l’incriminer ». Mais cela revient à se reconnaître coupable.

Finalement, la défense pouvait se baser sur deux axes : répondre et parler, ou se taire.

Le choix des communistes est le pire qui pouvait s’envisager : parler et ne pas répondre. Avec les conséquences que l’on sait. Or, il est impossible que les défenseurs des communistes aient été d’aussi piètres avocats . La seule question réellement importante qui se pose est : pourquoi ? Pourquoi n’ont-ils pas choisi une ligne de défense valable ?

Des explications peu convaincantes

Les explications fournies a posteriori par les témoins condamnés ne sont guère convaincantes. Ici on invoque la « nature répressive de la démocratie américaine qui oblige la plupart des membres du parti à rester dans la clandestinité », allégation immédiatement démentie par un autre témoin, Dalton Trumbo : « nous étions loin de penser que nous pouvions perdre notre emploi, pas plus que nous ne pouvions prévoir que nous irions en prison ».

D’autres craignaient, en répondant directement aux questions, d’avoir à dénoncer les autres membres du CPUSA. C’est certes mieux trouvé. Cependant, cette tactique de la délation, ainsi que le dit l’historien Navasky, « est postérieure aux audiences de 1947 ». Elle n’était donc pas envisagée ni envisageable à l’époque des faits.

Ainsi, aucune explication rationnelle valable ne peut rendre compréhensible la politique du pire menée par les communistes lors de leurs auditions. Pire que tout, cette stratégie auto-destructrice fut suivie à la lettre par les autres communistes lors des procès qui suivirent à travers tout le pays. Le cas des époux Rosenberg est de ce point de vue, exemplaire. Doit-on conclure par un diagnostic de bêtise chronique, comme on a parfois voulu le laisser entendre ? La direction du CPUSA fut-elle incapable d’établir une ligne de défense efficace face à la répression qui suivit l’affaire des « Dix de Hollywood » ? Doit-on voir dans cette attitude une abnégation totale et une volonté de ne pas renier les règles du parti imposant la loi du silence et du secret absolu à tous ses membres ? Cela semble peu crédible.

Même le plus novice des avocats eut été capable de savoir que la violation du paragraphe 192, article 2 du Code, concernant le refus de témoigner devant la Commission du Congrès, était puni d’un an d’emprisonnement. Et que le fait d’insulter les membres de la dite Commission ne risquait pas d’améliorer la situation.

50 ans de loi du silence et de révisionnisme !

Il fallut attendre les années 1980 et les travaux de Navasky, suivis d’un vaste débat entre les historiens américains pour commencer à comprendre cette énigme. Et il aura fallu attendre le tournant du millénaire pour que, grâce au professeur Török, la France lève enfin un voile discret sur un sujet aussi tabou que l’échec de la manœuvre stalinienne contre le cinéma américain.

Des années après les faits, il est aujourd’hui possible d’affirmer, avec tout le sérieux et l’autorité qu’apportent les travaux des meilleurs universitaires américains et du professeur Török, que ce suicide du CPUSA dans sa totalité n’est pas l’œuvre de quelques incompétents trop éloignés de Moscou, et mal formés aux techniques de lutte du parti communiste.

Incontestablement, la défense dérisoire, agressive et désespérée des « Dix de Hollywood », ainsi que celle postérieure mais identique de leurs camarades américains, entraient dans la ligne politique établie par Moscou. Cette option s’inscrivait non pas dans un contexte étroit, mais au contraire international. Et cette stratégie fut appliquée à la lettre par les séides de Staline.

Il est en effet peu crédible que le CPUSA, avec l’importance que tenait la section hollywoodienne, fut délaissé par le Kremlin. Certains militants américains avaient une implication totale dans la politique internationale du parti communiste soviétique : Alvah Bessie avait combattu dans les Brigades internationales et Herbert Biberman fut formé à Moscou. Ces militants loyaux à Staline ne se seraient jamais permis d’arrêter une stratégie sans en référer à Moscou.

Les communistes savaient pertinemment que leur conduite au cours des auditions les menait droit à l’inculpation d’outrage au Congrès. Ils savaient également que les moguls n’avaient plus d’autre choix que de les renvoyer séance tenante, même à contrecœur. C’était la règle du jeu en vigueur dans l’industrie.

Sur un plan strictement national, l’inculpation des « Dix de Hollywood » était prévue par le CPUSA. Il s’agissait d’affronter le HCUA et de se faire condamner par la justice. Suite à cette condamnation, il était envisagé que les avocats communistes en appellent à la Cour suprême des Etats-Unis, où les juges libéraux étaient majoritaires, et ne manqueraient pas de revoir le jugement en leur faveur, au nom d’une jurisprudence de 1943 concernant la liberté d’opinion. Ceci revenait donc à décrédibiliser le HCUA et par là même le Congrès… Le parti communiste sortait donc vainqueur de l’affrontement avec le gouvernement, et pouvait s’auréoler du titre de champion de la liberté et des droits de l’Homme… Il avait surtout les mains libres pour reprendre son travail le plus tranquillement possible, et attendre le moment opportun, en ce début de Guerre Froide, pour peser de tout son poids en faveur de l’Union soviétique. Ainsi que le dit J.-P. Török, « l’enjeu était de taille et cette stratégie judiciaire était en tout point parfaite ». Ainsi que le dit Richard Schickel, « les communistes mirent en œuvre leur tactique favorite : forcer l’adversaire à une confrontation au terme de laquelle la société capitaliste et ses institutions apparaîtraient comme un système essentiellement répressif. »

Une seule chose fit échouer ce plan machiavélique : durant l’année 1949, deux des juges libéraux décédèrent et furent remplacés par… des conservateurs. La situation était totalement inversée et, par la suite, l’offensive contre les communistes se déroula parfaitement.

Les Rouges jettent les paillettes

Qui plus est, au niveau de l’opinion publique, cette stratégie eut un effet déplorable pour leur image. Ceci expliquant aussi sa déroute future. Les Américains découvrirent un parti clandestin, violent, très éloigné de la tradition politique du pays. Et surtout, ils ne manquèrent pas de se poser la question essentielle : « Que feront les communistes américains en cas de troisième guerre mondiale ? »

Leur attitude aux audiences du HCUA, les grèves de 1945-46, la révélation au grand jour d’un parti clandestin, les affaires d’infiltration de la haute administration américaine, et enfin la découverte fortement médiatisée d’affaires d’espionnage au profit de l’Union soviétique ne manquaient pas d’indiquer quelques pistes au sujet de la réponse.

Les historiens Ceplair et Englund (The Inquisition in Hollywood. Politics in the film community, 1930-1960, ed. Anchor press, 1980) indiquent que « les scénaristes communistes défendirent le régime stalinien, et (…) en tant que défenseurs du régime soviétique, les rouges de l’écran ont fait l’apologie de crimes monstrueux, même s’ils prétendaient avoir tout ignoré de ces crimes, ayant fait taire de leurs criailleries ou refusé d’écouter tous ceux qui ne les ignoraient point ».

Il est aujourd’hui absolument sur et certain que les militants communistes hollywoodiens étaient des partisans parfaitement formés et disciplinés, sachant très bien où et au-devant de quels ennuis ils allaient lors de leur comparution devant le HCUA.

Leur but n’était pas de travailler librement et à visage découvert dans l’industrie hollywoodienne ; ils ne voulaient pas non plus déjouer les attaques du HCUA, au contraire ; le CPUSA ne souhaitait pas jouer aux Etats-Unis le rôle d’un parti démocratique normal, comme peut le faire par exemple un parti communiste européen. Tout ceci n’entrait pas dans leur vision des choses parce qu’ils n’entendaient pas avoir une politique électoraliste, perdue d’avance aux Etats Unis, dans ce climat de Guerre Froide.

Le gambit du roi

Une fois éliminée la première stratégie consistant à déconsidérer le Congrès et ses Commissions, pour avoir les mains libres, une seconde option se présentait. De nombreux historiens, dont J.-P. Török, estiment « qu’en aggravant délibérément une situation déjà mauvaise, ils bâtissaient à leurs propres frais la réputation de martyrs qui allait leur coller à la peau. (…) Dans la vaste bataille que livrait à l’échelle du monde le communisme international, le petit parti américain, surveillé et contrôlé, risquait de ne plus servir à grand-chose ; à moins de s’immoler publiquement sur l’autel de la révolution mondiale en donnant à cette cérémonie toute la publicité que permettaient la démocratie américaine et ses puissants médias de masse ».

C’est ce que J.-P. Török appelle « le gambit du roi ». C’est-à-dire, en terme de jeu d’échecs, une combinaison visant à sacrifier un pion pour se mettre finalement en situation plus avantageuse par rapport à l’adversaire. Bien entendu, le pion est le CPUSA tout entier, et le joueur en position avantageuse, le Parti communiste international siégeant à Moscou.

En 1951, le sénateur Mac Carthy va entrer en scène et achever la section hollywoodienne du CPUSA, avant que le parti en entier ne se suicide collectivement au service et à la gloire du Kremlin. Mac Carthy n’aura finalement eu qu’une importance mineure dans la lutte anticommuniste aux Etats Unis. Sa célébrité en tant que symbole d’une soi-disant chasse aux sorcières n’est finalement due qu’à sa médiatisation par les Américains, et à la stratégie des communistes internationaux qui profitèrent du côté excessif et parfois caricatural du personnage, pour le mettre en scène comme l’incarnation d’une nouvelle « menace fasciste ». Ceci leur permit de créer de toutes pièces une « chasse aux sorcières », médiatisée et relayée par tous les partis communistes, et particulièrement en France.

Il est bon de noter pour conclure, que si le monde entier s’est ému et s’émeut encore de la « sombre période du maccarthysme », les victimes de cette répression furent très peu nombreuses, et après une période d’oubli et d’inactivité fictive (ils travaillèrent au noir durant leur proscription), les scénaristes purent réintégrer les studios et retravailler : le symbole de ce retour en grâce étant l’œuvre au service de la lutte des classes qu’est le Spartacus de Dalton Trumbo, avec Kirk Douglas dans le rôle principal.

Les victimes du communisme n’ont pas eu cette chance. http://aventuresdelhistoire.blogspot.com/

Pour en savoir plus :

Pour en finir avec le maccarthisme Jean-Paul Török L’Harmattan, 582 p., 250 F, ISBN 2-7384-8349-6. Disponible chez l’éditeur, 7 rue de l’Ecole Polytechnique, 75005 Paris (ajouter 30 F de frais de port).

Joseph McCarthy : Reexamining the Life and Legacy of America’s Most Hated Senator Arthur Herman 404 p., Free Press, The McCarthy Era in Perspective, Richard M. Fried, Oxford Univ. Press

McCarthyism in America Ellen Schrecker Princeton University Press, 608 p.

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