vendredi 19 novembre 2010

Vercingétorix ou la gloire des vaincus (fin)

échec à Gergovie
Cette patience, cette prudence, surprenantes de la part d'un jeune Gaulois, sont très caractéristiques du tempérament de Vercingétorix ; elles ont abusé César, qui a cru son adversaire découragé et réduit à l'impuissance. Il s'est vu le maître de la situation, il a pensé qu'il pouvait écraser sans peine une révolte dont les débuts avaient été aussi peu concluants.
Il a divisé ses troupes, afin d'en finir plus vite avec ces rebelles dont il sous-estimait la puissance ; il a confié à Labienus une partie de son armée en le chargeant d'occuper Lutèce, de tenir en respect les Parisiens, d'intimider les Belges et de surveiller le carrefour des routes terrestres et des voies navigables par lesquelles pourrait se faire la concentration des insurgés.
Lui-même, gardant ses meilleures légions, pensa que le meilleur moyen de rétablir l'ordre était de frapper à la tête. Les opérations d'hiver dans le Velay avaient eu pour objet dans son esprit d'intimider les Arvernes. Puisque l'opération n'avait pas réussi, il fallait recommencer mais, cette fois, il portera ses coups au cœur même de la nation rebelle, il s'en prendra à sa capitale : Gergovie, puisque Vercingétorix avait dû battre en retraite jusque-là.
À sept kilomètres environ au sud-ouest de Clermont-Ferrand, se dresse le plateau de Gergovie, d'une superficie d'environ soixante-dix hectares, qui domine de quelque trois cents mètres le pays environnant, position stratégique de première valeur. C'était l'oppidum des Arvernes, leur capitale, lieu de refuge habité surtout pendant la belle saison.
Vercingétorix vint occuper Gergovie. César vint bientôt investir la place ; il remporta d'abord un léger avantage en s'emparant d'une petite hauteur au sud-ouest du plateau. Il y installa un petit camp. qu'il relia à son grand camp par une tranchée. Mais de mauvaises nouvelle lui arrivèrent alors du pays des Hédues : les 10 000 fantassins que ces fidèles alliés lui envoyaient s'étaient débandés à l'instigation d'un de leurs chefs, Litaviccos, partisan de Vercingétorix.
César reprit en main une partie des troupes hédues et fit travailler ses légionnaires aux ouvrages de siège. Les opérations traînaient. Les Romains se fatiguaient de creuser sans cesse des circonvallations. En outre, l'attitude douteuse des Hédues préoccupait César très sérieusement : il songeait à lever le siège, mais résolut auparavant de tenter sa chance.
Il s'aperçut un jour qu'une colline, garnie de troupes les jours précédents, semblait déserte. S'il parvenait à s'en emparer, la forteresse serait bloquée. Vers midi, César ordonna l'assaut, la colline fut emportée. Les Gaulois semblaient se débander, quand Vercingétorix attaqua les Romains de flanc. Après une lutte sans merci, les Romains plièrent et furent rejetés en désordre dans la plaine.
Prudent, Vercingétorix se garda de se lancer follement à la poursuite de César, et rentra dans Gergovie. L'échec de César était indéniable.
l'erreur de Vercingétorix
La victoire de Gergovie eut un énorme retentissement : elle montra que César n'était pas invincible, et décida les peuples qui hésitaient encore à entrer dans la confédération. Les Hédues, eux-mêmes, sous l'instigation de Conviclolitavis, se rallièrent à la cause de l'indépendance.
Cette défection mit César dans une situation fort embarrassante. C'était dans leur pays en effet qu'il avait une grande partie de ses approvisionnements. Sans tarder, les Hédues brûlèrent et ravagèrent leur propre pays sur la rive gauche de la Loire, afin de réduire les Romains par la famine.
César ne se laissa pas troubler par cela. Loin de songer à battre en retraite, il décida au contraire de rejoindre Labienus à Sens ; il réussit à passer la Loire et trouva sur la rive droite des régions plantureuses où son armée put se refaire avant de rencontrer Labienus qui revenait victorieux de Lutèce.
Labienus avait eu en effet pour mission de s'emparer de cette localité. Il se mit en marche avec quatre légions. Le commandement des troupes gauloises dans cette région fut confié à Camulogenos, grand chef de guerre, qui s'établit au confluent de l'Essonne et de la Seine, contrée marécageuse dont on ne pouvait songer à le déloger. Labienus décida alors de passer sur la rive gauche de la Seine ; il franchit le fleuve. Les Gaulois engagèrent la bataille après avoir brûlé Lutèce et rompu les ponts.
Ce fut une terrible mêlée. Les Gaulois semblaient prendre l'avantage, quand ils furent attaqués sur leurs arrières et enveloppés ; tous se firent tuer jusqu'au dernier, y compris Camulogenos. Comme les Bellovaques s'agitaient, Labienus jugea prudent, sur ce succès, de regagner Sens, où César vint peu après le rejoindre.
Après avoir abandonné la cause de César, les Hédues tinrent dans leur capitale Bibracte (Mont Beuvray) une assemblée des Gaules, où Vercingétorix fut, une fois encore, acclamé comme chef suprême.
Vercingétorix organisa aussitôt les opérations. Tous les peuples gaulois durent lui laisser des otages et lever rapidement 15000 cavaliers : les Hédues et leurs chefs fournissaient 10 000 hommes de pied. Avec cette puissante cavalerie, on intercepterait les communications de l'ennemi. Par ailleurs, récoltes, demeures, granges, tout devrait être détruit.
Il fut aussi décidé que Ruthènes et Cadurques iraient ravager les terres des Volques Arécomiques, Cette menace sur la Provincia s'ajoutant à celle de la famine, César se décida à gagner le Sud.
Il partit par le pays de ses alliés Lingons. À quelques lieues de lui, Vercingétorix surveillait et harcelait sa marche. Le chef gaulois commit alors la lourde erreur d'engager le combat contre les dix légions de César. Vercingétorix avait trop confiance dans la puissance de sa cavalerie et il ignorait que César avait reçu des renforts importants de cavaliers germains ; il fit trois corps de sa cavalerie, l'un devant barrer la route à César et les deux autres l'attaquer de flanc.
L'engagement eut lieu près de Dijon. César, averti à temps, avait réparti ses troupes en trois puissants carrés, contre lesquels se brisa l'attaque de la cavalerie gauloise ; prise de flanc alors par une charge des cavaliers germains, celle-ci se débanda.
Privée ainsi de ses meilleurs éléments, l'armée de Vercingétorix battit en retraite vers Alésia (l'actuelle Alise-Sainte-Reine, sur le mont Auxois, en Côte-d'Or), César se mit à sa poursuite. Les Gaulois se réfugièrent dans Alésia.
Alésia était une vieille cité gauloise, possédant un sanctuaire renommé ; c'était à la fois une capitale, un lieu de pèlerinage et, par surcroît, une place forte facile à défendre. Au mois d'août 52 avant Jésus-Christ, Vercingétorix s'y enferma.
Il avait amené dans la ville toute sa cavalerie, en même temps que son infanterie, avec des réserves de fourrage insuffisantes; et, pour ses hommes, très nombreux, trop nombreux, il n'avait qu'un mois de vivres ; c'était, pensait-il, plus qu'il ne lui en fallait pour attendre le grand rassemblement de la levée en masse qu'il avait ordonnée.
enfermés dans Alésia
La place était trop forte pour être enlevée d'assaut. César ne renouvela donc point son erreur de Gergovie. Après avoir établi plusieurs camps autour d'Alésia, il en commença le blocus. Le soldat romain était un infatigable terrassier. Utilisant les inégalités du terrain, profitant du moindre accident qui peut nuire aux Gaulois, César fait construire par ses soldats une formidable ceinture de remparts, qui, enferme Alésia dans un cercle de terre, de palissades, de fossés et de tours littéralement infranchissables.
Vercingétorix essaya de briser l'investissement avant qu'il fût complet ; il tenta une sortie qui tournait à son avantage, quand César fit donner la cavalerie germaine qui, une fois encore, dispersa la gauloise. Vercingétorix décida alors de se séparer de sa cavalerie devenue inutile, et de l'envoyer rejoindre et renforcer l'armée de secours qui se formait. Il la fit partir nuitamment, mais commit l'erreur de ne pas l'accompagner et de s'enfermer dans Alésia avec les défenseurs.
Informé qu'une armée de secours allait le prendre de dos, César, pour se prémunir contre l'attaque qui viendrait de l'extérieur, doubla ses fortifications d'un second système de défenses, long de vingt et un kilomètres, alors que l'autre, concentrique à celui-ci, n'en avait que quinze. Des fossés larges de six mètres et profonds de trois, alternent avec des levées de terre, hérissées de palissades, le terrain intermédiaire étant semé de pièges, de pieux dissimulés sous les branchages, de puits et de pointes de fer, qui rendent toute attaque très périlleuse.
La troupe la plus courageuse et la mieux armée ne peut que se briser sur de pareils remparts sans parvenir même à les entamer. Cela fait, il suffisait d'attendre que le temps fît son œuvre qui compléterait celle des terrassiers.
C'est au mois d'août que les Gaulois s'étaient enfermés dans Alésia. Au début du mois de septembre, ils n'avaient presque plus rien à manger. La chaleur, l'entassement des troupes dans une petite ville, déjà remplie par ses habitants, le manque de vivres et d'eau, développèrent des épidémies.
Un jour, il fallut expulser les bouches inutiles, et l'on repoussa, hors des murs, la foule des femmes, des vieillards, des enfants, qui moururent de faim sous les yeux de leurs compatriotes, car César avait refusé de les laisser passer.
Les conditions matérielles et morales du siège usaient la force des soldats, auxquels on avait réservé tous les aliments encore disponibles, et qui, pourtant, souffraient de la faim.
L'armée de secours parut enfin. Elle se heurta aux circonvallations romaines et tenta vainement, pendant deux jours, de les forcer. Les assiégés, de leur côté, harcelaient l'ennemi.
Apprenant qu'une partie des défenses romaines du côté Nord étaient plus vulnérables, les Gaulois de l'armée de secours décidèrent de porter là leur effort principal. Ils comblèrent le fossé et commencèrent l'escalade des remparts.
Accablés par cette attaque massive, les légionnaires romains étaient à bout de forces. César leur expédia plusieurs cohortes de renfort aux ordres de Labienus.
De leur côté, les assiégés combattent avec rage, ils délogent les Romains de certaines défenses, ouvrent une brèche dans les palissades.
des illusions généreuses
En ces moments décisifs, le génie de César sauva la situation des Romains, qui devenait tragique. Après avoir, en personne, refoulé les assiégés, il vola au secours de Labienus qui, ayant appelé des troupes fraîches des postes non attaqués, se préparait à la contre-offensive.
L'armée de secours de Vercingétorix fut battue; ce que voyant, les assiégés regagnèrent Alésia, tandis que se débandaient les restes des troupes de secours : de cette belle armée sur laquelle Vercingétorix comptait tant, il ne restait plus que quelques escadrons qui s'enfuyaient en désordre.
Vercingétorix pensa qu'on pouvait encore sauver la situation. Il fit taire sa fierté et, le lendemain, offrit à César de capituler et lui demanda à quel prix.
Le Romain répondit qu'il laisserait la vie sauve aux soldats à condition que les chefs lui soient remis. Les Gaulois devaient, en outre, abandonner toutes leurs armes.
Livrer les chefs, c'était sacrifier tous les espoirs d'une résistance future ; rendre les armes, c'était se condamner à l'impuissance. Plutôt que d'accepter ces conditions désastreuses pour le pays, Vercingétorix choisit une solution qui, dans son âme généreuse, lui paraissait la plus noble et la plus politique, il se livrerait lui-même, et, lui mort, la guerre continuerait.
Dans son esprit, le geste qu'il va faire a une portée profondément religieuse et nationale. La défaite qu'il a subie prouve que les dieux sont mécontents; en leur offrant une victime, il apaisera leur colère et attirera leur bienveillance sur la Gaule. En même temps, il désarmera César dont il croit l'âme aussi noble que la sienne ; comment le général romain ne se contenterait-il pas d'une victime, alors que les dieux n'en demandent pas davantage ?
Ces calculs montrent combien Vercingétorix connaissait mal les Romains, et les illusions qu'il avait aussi sur ses compatriotes. Il ne savait pas qu'il était le seul ciment de la résistance gauloise et que, lui disparu, la Gaule s'effondrerait. Il s'imaginait que son sacrifice galvaniserait son peuple, alors qu'en réalité, une fois la tête abattue, la révolte gauloise s'éteindrait passivement.
l'attente de la mort
Avant de se décider à se rendre aux Romains, il réunit les défenseurs d'Alésia et leur expliqua le sens et la portée de l'acte qu'il allait accomplir, puis il prit congé d'eux et, au matin, couvert de sa plus belle armure, monté sur son cheval, il quitta Alésia et galopa jusqu'aux fortifications romaines. Là, il demanda à être conduit auprès de César.
Le général romain était assis sur son siège quand Vercingétorix parut, à cheval, devant lui. Il le considéra d'un œil froid, tandis que le jeune Arverne jetait aux pieds du vainqueur ses armes et son bouclier et, descendu de cheval venait s'agenouiller devant lui (septembre 52).
Sans doute, Vercingétorix espérait-il qu'on allait immoler immédiatement la victime expiatoire. César lui fit attendre la mort qu'il réclamait. Pendant six années il vécut en prison, avant d'être traîné derrière le char du vainqueur, exposé aux injures de la foule, et finalement étranglé dans le temple de Jupiter Capitolin (fin juin 46).
Tous les espoirs d'indépendance gauloise étaient tombés en même temps que Vercingétorix. César ne massacra pas les défenseurs d'Alésia, mais il les réduisit en esclavage et les distribua à ses soldats. Il acheva de soumettre les divers foyers d'insurrection qui brûlaient encore au fond des provinces.
La Gaule ne devait plus se relever. La campagne des années 53-52, où César avait écrasé lé soulèvement général des peuples, avait eu raison de tous les désirs d'indépendance.
Marcel Brion, de l'Académie française Historia janvier 1978

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